Les
conditions de vie se sont à peine améliorées depuis la première alyah,
et les jeunes doivent savoir que ce n’est pas une vie facile qui les
attend. Installé depuis quelque dix ans dans le pays et le connaissant
bien, Joseph Vitkin lance, en 1905, un pathétique appel à la jeunesse
juive russe, par l'intermédiaire de Ménahem Ussishkin, auquel il adresse
une lettre connue nous le nom d' « appel de Vitkin ».
«
Voici les points dont il faut prendre conscience : quelle que soit la
longueur de notre route, dût-elle exiger le sacrifice de générations
entières, dût-elle engloutir des victimes innombrables – il nous faut
marcher sur cette route, sans jeter un regard en arrière. Il nous faut
prendre conscience du fait que nos vaisseaux sont déjà brûlés, que
nous n’avons aucun refuge, nulle part dans le monde !… L’ensemble
effroyable de nos souffrances, de nos protestations, de nos gémissements,
tout ce qui étouffe dans nos gorges et que la peur de l'ennemi nous empêche
d’extérioriser, il faut à présent le sublimer dans le gigantesque
travail que nous entreprenons pour le salut et la résurrection de notre
peuple.
…
Sachez qu’il vous incombe de ramener à la Terre l’attachement de ses
enfants, à ses habitants le respect et l’amour… et tout cela vous ne
pourrez le réaliser qu’en atteignant votre but. Toutefois, préparez-vous
à la lutte ; il faudra lutter avec la nature, avec les maladies et la
faim, avec les hommes, qu’ils soient ennemis ou amis, étrangers ou frères,
avec les adversaires du sionisme et avec ses partisans… Préparez-vous
à affronter la haine et la brutalité de votre entourage qui reconnaîtra
en vous une concurrence dangereuse ; préparez-vous à affronter les
sarcasmes et les railleries, le désespoir qui ronge la personne entière,
l’âme et le corps ; préparez-vous à affronter les pièges dont
certains seront dressés par vos propres amis et vos compagnons ; préparez-vous
à affronter les risques les plus difficiles et les plus terribles – à
affronter même la victoire ! Et votre victoire, ce sera la victoire du
peuple tout entier. Beaucoup d'entre vous tomberont, sans doute, sur le
champ de bataille, victimes des maladies, des épreuves, de la faim et de
l'épuisement, mais les survivants et ceux qui viendront après vous
rempliront les vides dans les rangs. Et la guerre, cette guerre pacifique,
se poursuivra jusqu'à la victoire… ».
Diffusé
par Ussishkin dans tous les groupes sionistes en Russie, l'appel de Vitkin
agit comme un puissant stimulant. Laissant les vieux et les pères de
familles nombreuses fuir les pogroms vers les États-Unis, les jeunes, décidés
et capables, s’embarquent pour la Palestine. David Green, le futur Ben
Gourion, est lui aussi touché par cet appel. Il arrive en 1906 sur la
Terre des ancêtres : il a juste vingt ans.
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